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LA CRÉATION DES SONS POUR LA MUSIQUE CONCRÈTE, une problématisation, chapitre 3
14 décembre 2025
Bénie soit la personne – je ne sais plus qui – à qui je dois d'avoir cette photo d'une répétition en plein air durant l'été 1971, quand je faisais partie de l'ensemble vocal Musique Nouvelle, que Stéphane Caillat avait fondé pour créer ou reprendre des œuvres contemporaines. Car cette image, où on me voit à droite, garde trace de moments heureux. Dans ce cas-là, il s'agissait d'une musique de scène composée par Guy Reibel et exécutée par nous en direct, tout au long d'un spectacle d'Emile Noël tiré d'Edgar Poe, sous le titre Cantate Extraordinaire. Le comédien Jean-Pierre Jorris en était l'acteur presque unique, et le fameux percussionniste Jean-Pierre Drouet était aussi de la partie. Ce spectacle devait être créé là-même où nous répétions, en plein air, dans le beau théâtre antique de Vaisons-la-Romaine où a été prise cette photo. Nous l'avons donné trois fois, si je me souviens bien. Les répétitions nous laissaient le temps d'aller voir nous-même dans la région d'autres spectacles ou concerts ; parmi ceux-ci, une exécution aux Chorégies d'Orange – dans un autre théâtre antique - , du Requiem de Verdi dirigé par Carlo Maria Giulini. Une soirée qui m'a beaucoup marqué, et suggéré un an plus tard de faire dans un registre dramatique et théâtral mon propre Requiem, celui-ci avec les moyens de de la musique concrète. Cet été 1971, je me préparais moi-même à rentrer au Groupe de Recherches Musicales de l'ORTF, comme membre et non plus comme stagiaire, en même temps que mes amis Roger Cochini et Robert Cahen.
Dans mon blog du 10 juillet 2022, j'ai déjà évoqué cette période et le rôle qu'a joué pour moi la pratique de la musique chorale et de l’ensemble vocal, ce qui m'a beaucoup aidé à me « décoincer » la voix et à lever d'éventuelles inhibitions. Et dans le blog précédent du 3 juillet, j'ai déjà parlé de mes amusements vocaux avec Jean-Pierre Colas, et d'autres amis. ...
LA CRÉATION DES SONS POUR LA MUSIQUE CONCRÈTE, une problématisation, chapitre 2
7 décembre 2025
Encore des assiettes, et encore des images empruntées à notre tournage en Haute-Savoie avec Régis Lacaze .... Mais celles-ci vont me servir à illustrer comment l'audible fonctionne par rapport au visible. Régis, Anne-Marie et moi venions de déguster dans un restaurant d'altitude trois tartes au myrtilles. Comme je voulais parler des différences entre ce qu'on voit et ce qu'on entend, j'ai eu l'idée de photographier une par une les assiettes terminées : sur chacune d'elles il restait des traces laissées par les myrtilles et les cuillers, et ces traces non intentionnelles formaient trois compositions différentes, inscrites dans une forme vaguement circulaire. D'aucuns en feraient de l'art, mais ce n'est pas cela qui m'intéresse. Ce que je veux montrer c'est que des traces non intentionnelles, on en trouve partout dans le champ du visible. Et cela sans technologie, depuis des centaines de millions d'années, pour ce qui se touche et ce qui se voit: une empreinte de pas de dinosaure, trouvée et préservée à quelques kilomètres de là où nous nous trouvions, près du barrage d'Emosson en Suisse, en est la preuve. Plus récentes, les mains négatives d'humains, trouvées dans la Grotte Chauvet et qui datent de 36.000 ans, en témoignent également pour notre espèce...
Pour les sons il en va différemment : il a fallu une technique inventée par l'homme, le phonographe, qui date de 1877, autant dire hier, pour en garder ce qu'on appelle des traces écoutables (celles qu'enregistrait le phonautographe de Léon Scott de Martinville ne l'étaient pas). Jusque-là, tout ce qui a résonné d'audible dans l'atmosphère et dans les eaux du monde a disparu sans laisser d'empreinte, même s'il est très poétique de rêver le contraire. Acceptons également l'idée qu'à notre échelle d'humains, 95% de ce que nous voyons est fixe et stable, tandis que 95% de ce que nous entendons est passager, événementiel. Et si le bruit continu de la mer à un endroit précis est statistiquement semblable à ce qu'il était il y a deux mille ans, dans le détail il se renouvelle sans cesse. ...
LA CRÉATION DES SONS POUR LA MUSIQUE CONCRÈTE, une problématisation, chapitre 1
30 novembre 2025
Sur cette image fixe, prélevée dans une des séquences filmées par Régis Lacaze en vue d'un film que je réalise sur mes musiques concrètes, ma main se prépare à donner une chiquenaude à une assiette plus grande que celles en dessous, ce qui va produire une vibration intéressante, à,la fois par son oscillation, et par la façon subtile dont elle décroît (un itératif complexe ou X'', pour employer le vocabulaire du Traité des Objets Musicaux). Grâce à Aperçu version 11.0, j'ai pu faire disparaître l' « arrière-plan ». Dans ce cas: un évier, des verres à eau lavés et rincés, des produits à vaisselle, rien d'intéressant et surtout rien qui joue un rôle dans le son obtenu, pas d'un coup mais en effectuant plusieurs essais. En somme, de l'image que vous voyez, j'ai effacé tout ce qui ne produit pas le son en question. Dans mon film tel qu'il sera monté, on entendra d'abord celui-ci sur écran noir, tel qu'il pourrait être entendu dans une musique concrète, et ensuite seulement on le réentendra avec la vision des sources. Et si je l'incorporais dans une œuvre, il ne serait pas mentionné : « sons faits avec une pile d'assiettes ».
En effet, l'histoire de la création d'un son, puisque celui-ci est fixé et non éphémère, peut ne pas s'arrêter là : je peux – par ce qu'on appelle « manipulation », et que je préfère appeler « modelage »- effectuer sur l'enregistrement premier différentes actions successives (juste après ou l'année suivante, ou dix ans voire cinquante ans plus tard), en faire autre chose, par montage, actions de filtrage, de transpositions, d'inversions, etc... ...