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HISTOIRE DE MES MUSIQUES CONCRETES, 10. DIKTAT, 1979

9 octobre 2022

« Ich bin müde », « je suis fatiguée ». Il est curieux que mon oreille d'adolescent (un adolescent qui quelques années plus tôt avait, pour obéir à un désir de sa mère, pris l'allemand comme première langue au lycée) ait tout de suite retenu, compris et isolé de tout le reste – de l'énorme reste du dernier opéra de Wagner, Parsifal, cette phrase courte et triviale chantée par Kundry au premier acte, alors que j'en écoutais la retransmission à la radio chez mon père. Cela doit s'être situé en 1963, l'année où j'habitais chez celui-ci et sa femme Hélène. Il est encore plus curieux que je me souvienne toujours de ce moment de quelques secondes où devant le poste de radio, je l'ai repérée et entendue, et où elle s'est gravée en moi comme une trouvaille. « Ich bin müde ». La fatigue est un état que je crois avoir éprouvé par éclairs ou par périodes depuis toujours, intimement, tout en jouissant d'une bonne santé, mais pourquoi donc ? Cette phrase est en tout cas une des clés du sentiment qui m'a inspiré mon quatrième mélodrame concret, composé et créé en 1979, Diktat. Il y est question en effet, pendant près d'une heure trente, d'un vieux clochard harassé et teigneux, habité d'une immense lassitude, qui renâcle au début de l'œuvre à sortir des brumes du sommeil, et qui à la fin en revanche s'endort, même s'il dort, c'est le moins qu'on puisse dire, très mal. Entretemps il rêvasse, s'attendrit à la pensée d'une femme, s'emballe comme s'il prophétisait devant une foule ou s'excitait à un souvenir de gloire, puis retombe.

J'ai inventé et joué ce clochard-prophète fou, auquel je m'identifiais, en m'inspirant d'un personnage hirsute sans domicile fixe que l'on pouvait croiser, quand j'étais petit, dans la rue Faidherbe à Nogent-sur-Oise, où habitaient nos parents nourriciers (au n°92) ainsi que notre mère (au n°46, oui, pile la moitié). Mon frère Jacques se souvient qu'il faisait de petits travaux pour un propriétaire terrien qu'on appelait le Père Notaire.  Toujours aviné, il me semble qu'il parlait fréquemment tout seul, ronchonnait, râlait, invectivait. Par dérision et sans méchanceté (autant que je me souvienne), sa saleté et son éthylisme lui avaient valu chez les Nogentais le surnom de Bébé-Rose. Un jour d'hiver Bébé-Rose n'était plus là, et ma mère nous raconta qu'on l'avait trouvé dans la rue mort de froid (à cette époque, les hivers dans l'Oise pouvaient être rigoureux). ...

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HISTOIRE DE MES MUSIQUES CONCRÈTES, 9. TU, 1977-1996

25 septembre 2022

Sur cette photo prise le 5 février 1977 par Eric Bourbotte dans le Théâtre Récamier à Paris, François Bayle, alors directeur du GRM, me montre l'implantation des haut-parleurs de son « acousmonium », ainsi que leur correspondance avec la console de spatialisation sur laquelle je dois les commander, tandis que Pierre Henry, à sa gauche, a les yeux baissés sur cette console où il officiera après moi. Ce sera la création de mon mélodrame concret Tu (de sa première version de 40 minutes, du moins, mais cela, je ne le sais pas encore), avant qu'il ne redonne ses Fragments pour Artaud, créés en 1970.

J'avais jusqu'à ce jour rencontré Henry une seule fois, sauf erreur, pour un entretien radiophonique (malheureusement il refusera, dans son obsession de rester l'unique et le seul, que ses propos soient publiés aux côtés des réponses d'autres compositeurs·trices interrogé·e·s par moi dans le volume des Cahiers Recherche/Musique La Musique du futur a-t-elle un avenir). Je ne pouvais pas me douter qu'en 1978, Brigitte Massin me proposerait d'écrire une monographie sur ce créateur dont j'admirais les œuvres, surtout celles des années 50-60, qui ont été largement à l'origine de ma vocation : publié par Fayard en 1980, le livre a été remis à jour en 2003. Les ventes ont été décevantes dans l'un et l'autre cas ; mais j'ai fait mon travail du mieux que j'ai pu. ...

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HISTOIRE DE MES MUSIQUES CONCRÈTES, 8. LE PRISONNIER DU SON et LA MACHINE À PASSER LE TEMPS, 1972

11 septembre 2022

Avant d'aborder l'évocation des premières œuvres que j'ai faites à l'époque où j'appartenais au Groupe de Recherches Musicales de l'ORTF, j'ai eu envie de marquer ce qui est déjà un heureux, bien que tout récent, souvenir : mon invitation au Festival Futura 2022 de Motus, à Crest (Drôme). Ci-dessus, sur cette photographie prise le 27 août dernier par notre ami Alain Gonnard, je suis entouré par une partie de l'équipe de Motus – notamment son directeur, le compositeur Vincent Laubeuf, et certains de ses animateurs, compositeurs et interprètes « acousmonistes » (comme j'aime dire) -  d'autres, comme Eric Broitmann, étant occupés par un concert à répéter, une tâche à assurer. Après Denis Dufour le 24 août (à l'origine de cet événement annuel, puisque fondateur de Motus et de Futura), Michèle Bokanowski le 25, et avant François Bayle le soir du 27, j'avais eu l'honneur de me voir consacrer la veille au soir un concert-portrait entier. J'en avais fixé le programme (Le ciel tremble, dont je vous ai déjà parlé, La Ronde, 1982 sur laquelle je reviendrai bientôt, Le cri de 2017 et une version longue du Souffle court, deuxième mouvement de ma Symphonie concrète, La vie en prose, 2010, éditée par Brocoli), mais c'était Olivier Lamarche qui en avait été l'acousmoniste. Ces quatre pièces étaient présentées pour la première fois dans leur version titrée et sous-titrée en anglais (sur écran noir). On peut trouver sur le site de Res Musica un compte-rendu de l'ensemble du Festival par Michèle Tosi, illustré par d'autres photos d'Alain Gonnard.

Le matin du jour où a été prise celle qu'on voit, Michèle avait eu la gentillesse d'être à mes côtés pour une rencontre avec le public, où ses questions et sa présence ont été précieuses. Lors du petit débat qui suivit notre dialogue, fut émise par un des auditeurs une question fort pertinente sur le rapport, dans Le ciel tremble, entre la voix du déclamateur et les sons qui l'entourent : qu'est-ce qui les unit, n'est-ce pas une simple juxtaposition ? ...

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